Cette année-là, 1970, en juillet, souvenez-vous,
quelle abondance!
Les
enfants, partaient un seau à la main et, une heure plus tard ils revenaient
avec
le
seau plein. Depuis lors je ne me souviens pas avoir connu une telle profusion.
Ce jour-là, lundi 3 juillet, à la chartreuse on
attend un "camp de travail".
Un
groupe de trente six jeunes adolescents de treize à quinze ans, garçons et
filles
venant
pour "travailler" à mi-temps pendant deux semaines.
Travail le matin: cueillette des fruits, lavage des
fenêtres du cloître,
nettoyage
du sol de la salle des fêtes etc…. et quartier libre l'après midi pour partir
à
la découverte de la région et son séduisant climat qui n'a rien de commun avec
celui
de
Strasbourg d'où est originaire le groupe de jeunes gens.
Le
car, venant directement d'Alsace, est attendu entre douze et treize heures à
Valbonne.
Le voyage se déroule selon le planning établi;
seulement après Montélimar,
le
car ne possédant pas la climatisation, la jeunesse commence à trouver le temps
long,
d'autant
plus long que le chauffeur laisse transparaître une certaine inquiétude au
sujet
de
son moteur qui depuis quelques kilomètres fait un bruit bizarre.
- "Tu entends ce sifflement, dit-il à
l'animateur qui conduit le groupe".
-" Mais oui, et j'ai l'impression que cela va
en s'accentuant".
-" Pourtant il n'y a rien d'anormal au tableau
de bord, la température
n'a pas monté, les freins ne chauffent pas, le
niveau d'huile est correct…"
-" Il serait peut être préférable de s'arrêter
pour voir ce qui se passe?"
- "Non, encore une trentaine de kilomètres
seulement, je vais rouler
un peu moins vite sans forcer le moteur."
Dans la longue ligne droite qui conduit à
Pont-Saint-Esprit, sous les platanes
majestueux
que personne ne remarque, ce bruit bizarre est l'objet de tous les
questionnements
car le sifflement sortant du moteur prend des proportions
inquiétantes;
dans le car les conversations sont dominées par ce bruit suraigu
qui
perce les oreilles.
Chacun,
en lui-même, pense qu'on ne peut pas continuer à rouler ainsi;
le
moteur va finir par exploser!
Le chauffeur s'est mis en troisième et poursuit la
route à petite vitesse.
Malgré
les risques encourus, la montée du col du lapin est avalée sans difficulté,
la
forêt semble atténuer un peu le terrible sifflement et c'est avec un
soulagement
non
dissimulé que, après avoir franchi le col, la descente vers le monastère est
amorcée;
descente
soulageant le moteur qui va ainsi pouvoir remplir son devoir jusqu'au bout.
Arrivé au camp Saint Jean où, comme prévu, le
directeur de la chartreuse
attend
le car, on ne perd pas une minute en salutations et serrements de mains,
on
verra plus tard:
- "Descendez vite et éloignez-vous du car, crie
le responsable aux ados
qui n'en mènent pas large."
- "En présence d'une telle panique, le
directeur suppose qu'un essaim
d'abeilles vient de pénétrer dans le car à l'instant
même.
( Le rucher de la chartreuse se situe à une
cinquantaine de mètres seulement,
avec 23 ruches.)"
– "Mais qu'y a-t-il? Que se passe-t-il?
Pourquoi tant d'inquiétude?…"
- "Vous n'entendez donc pas ce bruit strident
dans le moteur?
Lui répond le chauffeur par la portière?"
Le directeur s'approche, écoute, n'entend aucun
bruit suspect; mais il vient
de
comprendre le pourquoi d'un tel affolement chez ses invités et, en réponse au
chauffeur,
il
lui enjoint de bien vouloir arrêter le moteur qui continue de tourner.
Le moteur à l'arrêt, le sifflement semble encore
plus puissant.
Surprise,
étonnement et interrogation générales auxquelles le directeur s'empresse
de
répondre:
– "Nos chanteuses se font un plaisir de vous
accueillir et vous souhaiter la bienvenue dans le midi."
Quinze jours plus tard, à l'occasion de la soirée
d'adieu organisée pour les malades
et le personnel de la chartreuse, c'est avec un
talent et un humour saisissants
qu'une dizaine de jeunes présente une pièce de
théâtre suggérée par cet épisode:
" Les
cigales et les alsaciens."