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Les histoire de la veillée,

Les histoires de nos veillées.

Montrant à mon Papé Joyeux une feuille de vigne affligée de quelques tâches, blanchâtres je lui demande:
-- Dis, Papé, c'est ça le phylloxèra ?
Il regarde la feuille, la froisse entre ses doigts, Oh non, petit ! Ça c'est un peu d'oïdium… ça se soigne avec le soufre, il faudra que je dise à l'Auguste d'en remettre un peu sur ces quelques souches, il ne faudrait pas que ça s'étende…

Continuant à froisser la feuille il paraît regarder dans le lointain.

Nous ne repartons pas, sa main se pose sur mon épaule et, Le phylloxéra Phylloxéra vastatrix , tu sais, c'est une sale bête, un puceron qui s'installe sur les racines des souches, les pique et se nourrit de la sève qui n'arrive plus aux sarments.

En deux saisons, toute une vigne est détruite!

Mais le soufre, la sulfate…? - On a tout essayé, sans succès! Ces sales bêtes ont continué à se répandre et à détruire les vignes!
Ici, dans le midi, ça a commencé en 1865, sur le plateau de Pujeault, à coté de Roquemaure; et vingt ans plus tard quatre-vingt pour cent des vignes ne donnait plus rien.

Et comment on a pu s'en débarrasser…?

D'abord en noyant les vignes, là où c'était possible. Puis en greffant nos cépages sur des pieds américains qui, eux résistent au phylloxèra, ce qui me fait dire que cette sale bête est peut-être bien venue des Amériques.

Mais, avant d'en venir à bout il a fallu se battre encore pendant une dizaine d'années.

Ah, ça a été une dure période… Ici, à Saint Paulet, nous avons eu la chance que la vigne n'ait pas encore tout envahi… Nous pratiquions la polyculture, chaque famille produisait la plus grande partie de ce qu'elle consommait, ça nous a permis de moins souffrir…

Mais quand même!!.

Quelques pas sur le chemin, puis un nouvel arrêt,

- Tu sais, les vignes noyées et les pieds américains ça ne donnait pas un bon vin…

Ah, pour la quantité, ça alors il y en avait! Plus qu'avant!! Mais pour le boire, il fallait vraiment avoir soif… Pour le rendre buvable sans trop de grimaces, les négociants coupaient notre vin avec de l'algérien ou du grec… Et il arrivait que, par inattention, bien sûr! Il rajoutent aussi un peu d'eau!!!
Trop de vin et de mauvaise qualité: non seulement les prix se sont effondrés, mais nous n'arrivions même plus à vendre notre production!!!

C'était la misère pour nous, les producteurs et des propriétés ont été vendues à des prix ridiculement bas… A cette époque certains négociants ont fait de très bonnes affaires!!

Mais, mon Papé, le député, le gouvernement, la répression des fraudes…,tous ceux-là qu'est-ce qu'ils ont fait…?

Nous repartons et, arrivés au Grand Chêne, nous nous asseyons dans son ombre.

Je sens que mon Papé Joyeux réfléchit. Encore quelques instants de silence, puis, - Tu sais, la "révolte des gueux", comme certains l'appellent, c'est grave! Elle s'est terminée dans beaucoup de sang, cette révolte!!! Tu es peut-être encore un peu jeune pour comprendre, mais je vais te dire le principal, il ne faut pas l'oublier.

Les paysans étaient ruinés, dans les fermes des régions essentiellement viticoles c'était la grande misère. Des familles ont connu de bien dures privations, poussées au désespoir certaines sont parties pour toujours: en Afrique du nord, en Indochine, et même jusqu'en Amérique du Sud.

Alors les viticulteurs se sont groupés et ils ont envoyé l'un des leurs, Marcellin Albert, à Paris pour parler aux ministres.
Ils l'ont écouté distraitement, puis ils lui ont payé le billet du voyage de retour…

Encore un silence, mon Papé prend son visage dans ses mains…

Et les journalistes ont écrit que notre Marcellin s'était laissé acheter!!!

Alors là, tu vois, c'était trop: Notre misère insultée par des malpropres incapables ! Car, malgré les interventions de Jaurès en faveur des coopératives, ils n'ont rien fait pour nous aider, sais-tu.

C'est peut-être bien ce billet de retour qui a été le détonateur de notre révolte.

En juin 1907 ça a éclaté. Le 9, trois cent mille personne étaient réunies à Montpellier, Marcellin a fait un discours en patois occitan, notre langue, ce qu'il a dit des députés, petit, tu es trop jeune pour l'entendre.

Plus tard, tu le liras; il faudra te souvenir alors que cet homme avait été trahi et déshonoré, c'était son cœur qui parlait, pas sa raison. Mais les paysans, ses frères de misère, l'ont ovationné et choisi comme guide. Une telle foule, soulevée par un tel enthousiasme,

Le gouvernement en a eu peur!!

-- Mais, Papé, on a bien le droit de dire ce que l'on pense ??
- Pas toujours, petit, pas toujours et la suite l'a prouvé.

Clémenceau a donné l'ordre de disperser ces réunions, même par les armes.
A la réunion de Montpellier, les soldats du 17° régiment d'infanterie, composé d'appelés du contingent, ont refusé de tirer sur la foule, ils ont "levé la crosse" C'est cette foule qui leur a dédié la chanson "Braves soldats du 17°" - Tu vois qu'on les aimait bien les paysans du midi… Et puis, Clémenceau, c'est le "Père la Victoire", l'instituteur nous l'a dit.

- Mon pauvre petit… La politique, tu sais!!! Les 19 et 20 juin, à Narbonne, Une nouvelle grande manifestation est organisée pour demander une fois de plus que les intérêts des viticulteurs soient défendus par le gouvernement. Eh bien, ils ont envoyé l'armée de métier qui, elle, a tiré dans la foule.

Six morts, tués par l'armée française, une centaine de blessés, dont certains très grièvement.

Parmi les morts on a relevé Cécile Bourrel, une gaminette de vingt ans!!!
Elle est devenue le symbole de la lutte des paysans.

Bientôt tu étudieras, une pièce de théâtre écrite à l'époque de la Grèce antique, il y a plus de deux mille ans, par Sophocle, c'est l'histoire d'une autre gaminette qui est morte pour défendre l'honneur des siens contre les lois de la cité.

Cécile et Antigone, elles étaient peut-être un peu cousines…

Allez, viens on rentre, on est presque rendus…

Le parlement, effrayés par ces violences, réagit dans l'urgence en votant deux lois:
Celle du 29 juin est relative au "mouillage" (ajout d'eau dans le vin pour augmenter la quantité vendue) pratiqué par certains négociants, et aux abus du "sucrage" (ajout de sucre dans le moût, avant fermentation, pour augmenter la teneur en alcool), pratiqué par certains viticulteurs.


Celle du 13 juillet a trait à la circulation des vins et au régime des spiritueux.

Ces textes visaient à améliorer la situation des vignerons, admise comme étant critique.

IL faut regretter que ces mesures n'aient été prises qu'après mort d'hommes.

A la mémoire de Cécile Bourrel,

Lou Gustet