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Les histoires de la veillée.


Nous étions une dizaine à veiller ensembles, voisins et amis, réunis devant la cheminée, captivés par la danse des flammes. Les femmes sirotaient une infusion de tilleul, les hommes dégustaient lentement, avec des clins d'œil d'approbation, la carthagène de la maison. Un instant de silence, léger comme une plume d'ange, vint à passer. Dans sa chaise chacun chercha une meilleure assise; Alors, Le Joyeux, mon arrière grand père, nous parla du temps passé:

C'était en sept ou en huit, avant la grande tuerie de quatorze, bien sûr. Je revenais du moulin du Sautadet, où je m'étais un peu trop attardé. Mais vous savez ce que c'est, on ne peut pas se conduire en sauvage, arriver avec un "bonjour" et repartir avec un "bonsoir" tout sec. Il faut savoir échanger les nouvelles, les discuter, puis, déjà sur le départ, revenir pour parler des choses vraiment importantes. L'après midi était bien avancé lorsque j'ai repris la route; mais la charrette était vide et le cheval, Perlé, encore bien vaillant, baste! faire du chemin de nuit, ce ne serait pas la première fois.

De ce temps là, souvenez vous, le chemin entre St Laurent de Carnols et St Paulet, la "traverse" de la Valbonne, était vraiment mauvais et la montée après St Laurent bien raide, cela m'avait encore retardé et la nuit était déjà établie lorsque j'arrivais sur le plat, au niveau de la Chartreuse.

C'était une de ces nuits baignées de lune dont la pâle lumière dessine dans le sous bois des flaques de clarté bordées d'ombres légères et mouvantes. Les pas du cheval et les grincements de la charrette meublaient seuls, sans l'altérer, ce calme profond.

Le chant d'un oiseau, en pleine nuit? étrange!

Le chant d'un oiseau, ou un rire si clair qu'il paraît argenté, puis le silence, à nouveau.

Encore quelques pas et j'aperçois, glissant de flaques de clarté en tâches d'ombre,

formes imprécises et légères frôlant à peine le sol, de belles jeunes Dames vêtues

de robes faites d'ombre et de lumière entrelacées.

Elles se dirigent vers un filet d'eau qui s'écoule sur le bord du chemin, où d'autres

Dames sont déjà réunies.

c'étaient elles !!! je venais de voir la réunion des fées de la forêt

dont j'avais déjà entendu parler, mais sans y croire!!!

Fées toujours claires et bienveillantes, celles-ci, qu'il ne faut pas confondre avec

"Li Fado" qui, elles, ne le sont pas toujours, bienveillantes.

Voilà pourquoi ce filet d'eau est connu sous le nom de "La foun di Damo"!

Je n'étais donc pas le premier à les voir, "Li Damo" de la Valbonne.

J'avançais encore de quelques pas et, dans l'envolée d'un grand éclat de rire joyeux,

elles s'effacèrent dans les ombres du sous bois.

A la fin de ce récit, après quelques minutes de silence, nombreux furent ceux

qui eurent à dire au sujet de ces fées bienveillantes et à déplorer leur disparition liée,

peut-être, disaient-ils, aux charrois et aux explosions dus à la carrière de quartz.

Les Fées ont besoin de calme, c'est bien connu, et, surtout, que l'on croit en Elles.

Durant la prochaine nuit de pleine lune, n'essayez pas d'aller voir "Li Damo".

La rude lumière crue des phares électriques de votre voiture déchirerait le sous-bois,

ne laissant aucune place à l'imprécision des formes et vous irez trop vite pour avoir

le temps de rêver.

Tout au plus apercevrez vous, au bord de la route, un cube de béton venu emprisonner

le mince filet d'eau auprès duquel "Li Damo" aimaient à se réunir.

Et cette prison miniature a un nom: "La font des Dames", amère dérision.

Par respect pour "Li Damo", qui ont fait rêver nos grands parents et animé la forêt,

corrigez ce nom en vous souvenant qu'il s'agit de "La foun di Damo" ou,

en Français de la "Fontaine des fées".

Lou Gustet