Le sablier

Passent les jours et passent les semaines
Ni le temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine"
Guillaume APPOLINAIRE


C'était il y à une douzaine d'années; mon petit-fils, qui a trois ans et demi, vient vers moi: Papi! Mamie m'a dit que le sablier c'était pour faire cuire un œuf, tu veux m'expliquer comment ça marche ?

C'était il y à six mois environ; le même petit-fils avec une autre question: Papi! C'est quoi la théorie de la relativité ?

– Heu!!!… Voyons!!!… Einstein a voulu expliquer…démontrer…

– Mon pauvre Papi, mais tu as tout à apprendre…

Eh voilà! Moi qui ai vu se lever et se coucher, je ne sais combien de fois, l'astre de nos jours, je suis le pire des ignorants sur le temps qui passe. Heureusement je sais que je ne suis pas seul dans ce cas, alors, pour essayer d'éclairer ma lanterne, j'ai questionné mon ordinateur en tapant ces simples mots: le temps qui passe. J'ai obtenu plus de deux millions et demi de réponses… Mais je reste toujours aussi ignorant; comme Saint-Augustin qui n'en connaissait guère plus: " Quand personne ne m'interroge sur la signification du temps, je sais ce que c'est; qu'on vienne à me le demander, je ne sais plus".

Certainement très ignorant et aussi très impuissant car, ce temps qui passe et qui gouverne mon existence, ce temps qui s'écoule et qui peut bouleverser mes perspectives, je ne peux le remonter, je ne peux le ralentir ou l'accélérer.

Je ne peux le retenir ni le stocker, il passe. Il passe à des rythmes très variables. Pour les uns il passe à la vitesse d'un T.G.V., pour les autres c'est celle d'un escargot. Le temps est élastique, il peut se dilater ou se rétrécir. Est-il vraiment le même pour le détenu en prison et le malade à l'hôpital, pour les amoureux en "lune de miel" ou les passionnés de jeu ou de voyage? Rythmes variables même dans mon ronron quotidien; certain jour il donne l'impression de se traîner, par contre le lendemain il se met à courir, et me voilà à lutter contre la montre pour le rattraper; le temps me manque, il fuit et me bouscule; on me le vole ce temps!

Sablier et horloge électronique nous rappellent cet écoulement, cet effacement du temps dont les dates et les deuils, les calendriers et les archives sont autant de signes qui marquent les destinées les plus brillantes et les existences les plus obscures.

La roue du temps auquel nul ne peut se soustraire; c'est la roue des saisons qui tourne.

Une année touche à sa fin, une autre approche à grands pas. Nos vies s'écoulent toujours entre un passé et un avenir. Un passé  que nous regrettons, pour les joies et les succès qui ne se sont pas maintenus, ou que nous voudrions rejeter dans l'oubli en raison des souffrances et des désillusions qu'il nous a apportées ou des remords qui nous écrasent. Un avenir que nous espérons  et souhaitons meilleur, mais qui nous échappe et qui nous laisse malgré tout inquiets avec l'expérience que nous avons des perpétuels recommencements.

Les peines d'aujourd'hui donnent au temps son visage sombre.

Les joies du moment font fleurir le temps d'un rayon de lumière.

Le temps passe si vite!

Est-ce un signe des temps ou est-ce moi qui suis plus poussé à réfléchir sur le temps? Mais quel temps? Le temps de mon horloge interne? Le temps sacré avec la transcendance et la foi? Le temps cosmique, ses saisons et ses astres? Le temps industriel avec "Les Temps modernes" de Chaplin? Le temps informatique qui compresse tout? Le temps des retraités? Le temps de la jeunesse?…

Sujet inépuisable. En effet, qui parmi nous ne s'est un jour posé la question du temps qui passe. Du temps qui m'est donné et la façon dont je le vis? J'ai beaucoup de temps à ma disposition, et pourtant j'ai parfois le sentiment de passer mon temps à perdre mon temps? Songeons à l'affreux gaspillage de temps dû à notre oisiveté, à notre distraction.

Le temps est un espace sans nom. Il trouve son importance dans l'intensité vécue. Il est long ou fugitif. Il compte ou ne compte pas. Il s'inscrit différemment en l'homme selon les intérêts, les patiences, les souffrances, les attentes, les ouvrages, les passions, les amours… Car le temps c'est de la vie. Et toute vie porte en elle son expression.

Ah! J'aimerais bien faire quelque chose pour les autres, mais je n'ai pas le temps! Pourtant, avez-vous remarqué qu'on trouve en général le temps de faire ce que l'on aime beaucoup? Eh oui, tout simplement parce que "Le temps ne se compose pas seulement d'heures et de minutes, il se compose d'amour, et de volonté…"(A.Vinet)

Le temps que nous offrons aux autres se qualifie difficilement. Une parole, un geste, une lettre, un appel téléphonique peuvent marquer nos interlocuteurs pour des heures ou des années. Soit pour ravager leur vie et leurs élans, soit pour être un stimulant, un équilibre, une confiance, un dynamisme. La puissance d'une main tendue, d'un sourire, d'un don s'étend sur des distances inattendues.

Combien ferons-nous de gestes, en cette année qui vient, dirons-nous de paroles à valeur "incalculable"?

Ainsi, il y a le temps qui nous est donné et le temps que nous donnons.

Le temps des horloges de nos maisons et des villes, et celui de l'horloge céleste qui est mécanique et inexorable.

.Il ne tient pas compte des situations personnelles de souffrance et de joie, ni des circonstances. Le temps que nous vivons paraît long ou bref selon nos dispositions: insomnies ou amusements, joies ou déceptions, enfance ou quatrième âge…

Pour la jeunesse, la fuite du temps est un bienfait; le présent ne compte que dans la mesure où il rapproche du lendemain qui verra la réalisation de tous les rêves.

Quand serais-je comme papa? soupire l'enfant.

Je me marie demain, chante la jeune fille.

Dans la dernière étape de l'existence, l'âge donne sans doute au temps des valeurs nouvelles.

A chacun de faire en sorte que le temps qui passe, et qui peut revêtir tant d’aspects, ne soit pas « poursuite du vent », ne soit pas décevant, ne soit pas perdu, mais soit un temps où l’amour tient une grande place. Pour cela il devient urgent de savoir prendre le temps.

Le petit écran et les autres distractions mangent le temps disponible.( Dernièrement, un jeune ami m'a annoncé que, en accord avec sa femme et leurs deux enfants, le téléviseur avait été transporté au grenier… "Si tu savais, me dit-il, comme notre rapport au temps a changé!").

Plus cela va vite, et moins on a le temps. L’organisme surmené ne tient plus le coup. Nous ne sommes pas fais pour vivre ainsi. Il faut du temps à l’être humain pour se former avant de naître, puis pour devenir adulte. Il faut du temps pour qu’une intelligence  se façonne, s’exerce, se meuble de savoir. Il faut du temps pour qu’une amitié se noue, pour qu’un amour s’éveille. Pour que tombe le mur de Berlin il a aussi fallu du temps. L’accélération du monde détruit la personne.

L’une des exigences de notre époque ne serait-elle pas de retrouver le vrai rythme de la vie? La terre connaît des saisons, la végétation suit des époques de repos, de développement et de plénitude. Rien de positif ne se fait sans laisser mûrir les choses

Alors, puisqu'il y a un temps pour tout, bien que ne sachant pas si ce grand poète est encore dans l'air du temps, c'est avec lui que je termine avec un brin de nostalgie, lui qui chantait "il y a deux temps: le temps de l'attente et le temps de l'espoir".

Avec Jacques Brel

Je vous souhaite des rêves à n'en plus finir et l'envie furieuse d'en réaliser quelques-uns.

Je vous souhaite d'aimer ce qu'il faut aimer et oublier ce qu'il faut oublier.

Je vous souhaite des passions.

Je vous souhaite des silences.

Je vous souhaite des chants d'oiseaux au réveil et des rires d'enfants.

Je vous souhaite de résister à l'enlisement, à l'indifférence, aux vertus négatives de notre époque.

Je vous souhaite surtout d'être vous!>

Vous, avec mes meilleurs vœux.

Chazal

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