Quarante ans du CNES

Le CNES célèbre quarante ans de conquête spatiale française

(Un article paru dans "le Monde" du 21 décembre 2001 sous la signature de Jean-François Augereau)
Créé en 1961 à l'initiative du général de Gaulle, le Centre national d'études spatiales est un rouage essentiel de l'Europe spatiale.
Il est à l'origine du succès de la fusée Ariane et a joué les précurseurs dans le domaine des vols habités, des télécommunications, de la surveillance de la planète et de la météorologie

«POURQUOI l'espace ?» «Que fait le CNES ?» «Où va le CNES ?»
En trois encarts publicitaires «pleine page» achetés dans des quotidiens, le Centre national d'études spatiales (CNES) a planté le décor. Le 40e anniversaire de l'établissement, créé le 19 décembre 1961 à l'initiative du général de Gaulle, se devait d'être grandiose.
Le président de la République, le premier ministre, quatre ministres du gouvernement, deux commissaires européens, des académiciens, des industriels ont d'ailleurs été associés à la fête
pour commémorer cette naissance et rendre hommage, au cours d'un colloque sur ce thème organisé mardi 18 décembre à la Sorbonne, à quarante ans de conquête spatiale française.
A y regarder de près, c'est moins la date du démarrage des activités du CNES, commencées le 1er mars 1962, que celle de la loi qui lui a don né naissance qui a été retenue. Acte politique ? Sans doute. A l'heure où l'établissement est au cœur des défis spatiaux de demain, tant en ce qui concerne le transport, assuré par la fusée Ariane, que l'espace utile - avec les satellites de télécommunications, de télévision directe et d'observation de la Terre - ou la recherche scientifique - avec les vols habités, l'exploration du système solaire ou l'étude de l'Univers-, il n'est peut-être pas mutile de rappeler que l'Europe, après la chute du mur de Berlin, peut jouer un rôle fort face à la puissante Amérique. A une condition cependant : s'entendre. Ce fut le cas lors de la dernière conférence européenne des ministres de l'espace qui s'est tenue à la mi-novembre à Edimbourg (Ecosse). Soucieux de préserver leur indépendance, ils ont financé le coûteux programme d'amélioration du lanceur Ariane-5. Pourtant, quelques mois plus tôt, le gouvernement allemand avait appelé à des économies sur ce projet. Mais devant l'enjeu, il a finalement augmenté très sensiblement sa contribution.

C'est grâce à de telles convergences et à une « certaine idée » de ce que doit être l'Europe spatiale de demain que la société Arianespace a pu devenir le leader mondial des lancements de satellites, avec la fusée Ariane-4, hier, et Ariane-5, demain. Mais cela ne s'est pas fait sans mal. Sans le CNES, sans la France, premier bailleur de fonds de l'Europe spatiale, sans une volonté gaullienne d'assurer l'indépendance du pays dans un secteur considéré alors comme stratégique et sans quelques hommes décidés, l'Europe n'en serait pas là et ne serait pas aujourd'hui la troisième puissance spatiale du monde.

TOUT EST ALLÉ TRÈS VITE A l'origine de cette aventure longtemps pilotée par la France, il y a eu des scientifiques (comme Pierre Auger et Jacques Blamont), un général (Robert Aubinière, récemment décédé), un secrétaire du comité des recherches spatiales (Jean Pierrat, auquel succède Michel Bignier), un délégué général à la recherche scientifique et technique (Pierre Piganiol), un ministre délégué (Pierre Guillaumat) et un premier ministre convaincu (Michel Debré). Et bien sûr un président de la République. Du coup, tout est allé très vite.

«En I960, raconte Pierre Auger dans Les Trente Ans du CNES (Documentation française), le délégué général à la recherche scientifique et technique m'a demandé de m'occuper âe l'espace (...) J'ai créé un petit comité [et] fait les plans d'un premier lanceur de satellites que l'on appelait Diamant. » Le 19 décembre 1961, la loi créant le CNES était signée. Le lendemain, elle était publiée au journal officiel. Moins de deux mois plus tard, le 10 février, 1962, paraissait le décret d'application. Le 26 novembre 1965, la France devenait la troisième puissance spatiale du monde derrière l'Union soviétique et les Etats-Unis avec la mise en orbite de la capsule technologique A-l (Astérix) par une fusée Diamant-A tirée depuis la base saharienne d'Hammaguir. Trois mois plus tard, le deuxième Diamant lançait avec succès un satellite entièrement conçu par le CNES, D1-A.

Que de chemin parcouru depuis. Soutenu depuis sa création par les politiques - droite et gauche ne se sont pratiquement pas opposées sur ce sujet - et par des financements substantiels - 2,326 milliards d'euros pour 2002-, le CNES et la France ont pu longtemps jouer le rôle de « locomotive » de l'Europe spatiale. Non sans que cette position dominante n'agace nos partenaires.

Aujourd'hui une prétention à une telle suprématie serait absurde. L'espace coûte trop cher pour faire cavalier seul : depuis sa création, le CNES a dépensé 208 milliards de francs (31,7 milliards d'euros). Ses budgets ne sont pas éternellement extensibles. Ils sont stables depuis 1992, ce qui impose des coopérations salutaires. Il est donc de bonne politique désormais de laisser à ses partenaires européens le leadership sur certains programmes.

Mais l'Europe, dont le CNES est l'un des principaux bailleurs de fonds - 693 millions d'euros pour l'Europe en 2002 contre 561 millions d'euros pour le programme national français-, ne suffit pas. La France ne peut ignorer les deux grands. A ses ambitions nationales, elle a su ajouter très tôt des collaborations tant avec Moscou - à une époque où ce n'était guère facile ni apprécié - pour des missions habitées et des expériences scientifiques qu'avec Washington, dans le domaine de vols humains également, ainsi que de la surveillance des océans et de l'exploration du système solaire.

OBJECTIFS POUR QUATRE ANS

La remise au gouvernement, dans les semaines qui viennent, du contrat d'objectifs du CNES devrait préciser les priorités de l'établissement pour les quatre prochaines années. Soulignant que «le cadre géographique de l'Agence spatiale européenne» est parfois «trop étroit et peut être utilement élargi», le premier ministre, Lionel Jospin, a invité à ne «négliger aucune opportunité». De ce point de vue, le contrat d'objectifs du CNES doit préciser les secteurs d'activité qui seront renforcés et ceux qui feront l'objet de coopérations scientifiques avec les autres grands acteurs du spatial.

Le président de la République, Jacques Chirac, qui a ouvert le colloque de la Sorbonne, ne pense pas différemment. Mais il a tenu à rappeler par deux chiffres que l'Europe n'existera face à l'Amérique qu'à condition de poursuivre son effort.

«La différence entre les dépenses totales de recherches publiques et privées américaines et européennes, a-t-il insisté, s'est élevée à 75 milliards d'euros en 1999 contre 35 milliards en 1994 ».
D'autre part, a-t-il ajouté, «les Etats-Unis consacrent six fois plus d'argent public au secteur spatial [puissamment aidé par les crédits de la défense] que ne le fait l'Europe.
Ne pas réagir,
a-t-il averti, conduirait immanquablement nos pays à une vassalisation scientifique et technique, puis industrielle et économique ». C'est la raison de l'appel pressant de Paris à lancer le programme de « GPS européen » Galileo que les ministres des transports, réunis début décembre à Bruxelles, ont repoussé par huit voix contre sept, sous la pression des Allemands, des Britanniques, des Néerlandais et des Suédois. Les raisons : des inquiétudes sur une possible dérive budgétaire de ce programme de près de 4 milliards d'euros, une pression forte de Washington pour que l'Europe adopte le système américain et peut-être aussi une certaine sensibilité au message des politiques américains.

Dommage. Cette décision, commente André Lebeau, ex-président du CNES, dans le quotidien Libération du 18 décembre, «est un symbole de la cacophonie européenne. Le coût de Galileo n'est pas en cause, c'est un problème de perception correcte de enjeux des techniques spatiales dans les cercles politiques». Même constat à Bruxelles,. où la commissaire aux transports, Loyola de Palacio, a sévèrement critiqué cette attitude peu constructive. Les Quinze ont en principe jusqu'au mois de mars 2002 pour réfléchir et décider de l'avenir de ce programme qui doit conduire en 2008 au lancement d'une trentaine de satellites permettant la navigation et la localisation des mobiles terrestres, maritimes et surtout aériens.

Et de Gaulle dit : « Allez-y »...

Lorsque Pierre Auger présenta au gouvernement son projet de création d'une agence spatiale nationale, le président de la République, le général de Gaulle, demanda : «Est-ce que cela servira aux télécommunications ?» Interrogé, le ministre des PTT a répondu : «Cela ne vaut pas la peine que la France se mêle de cela, l'Amérique lance des satellites, la France n'a qu'à lui demander de l'aider à faire des satellites de télécommunications.» Le général de Gaulle «a fait une grimace». Il a demandé combien allait coûter le projet, «J'ai donné le chiffre, qui était assez élevé», raconte Pierre Auger. Le ministre des finances a dit : «Ce n'est pas cher.»

Le général de Gaulle a alors déclaré que, si la France devait entrer dans le jeu, «il fallait créer un Centre national d'études spatiales». «II m'a nommé président, m'a demandé de mettre en route le projet Diamant et a dit à Pierre Guillaumat : "Allez-y !", puis il est sorti.»
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