Son  Interview

INTERVIEW


Joint à Houston où il vit depuis six ans, l'astronaute évoque son entraînement, les objectifs de la mission STS-111 et sa vie quotidienne de Français installé dans la capitale américaine de l'Espace.

Quelles ont été les étapes et les objectifs de votre entraînement ?

Je suis arrivé au Johnson Space Center de Houston en 1996 suite à un accord passé directement entre le CNES et la NASA. Au départ il n'y avait pas de vol à la clé mais on me donnait la chance de venir m'entraîner ici afin de devenir astronaute professionnel. On commence avec un statut d'invité puis on vous charge petit à petit de différentes choses jusqu'à devenir membre à part entière d'un équipage. Au cours des deux premières années j'ai été formé au fonctionnement de la navette. Il s'agit d'un cursus complet, un peu comme pour un pilote de ligne qui doit connaître son avion sur le bout des doigts avant de voler. Sauf qu'une navette spatiale c'est cinq fois plus compliqué qu'un avion!
C'est un entraînement différent de celui d'un pilote ?

Il se situe complètement dans le prolongement de ce que j'ai connu dans l'Armée de l'Air, II faut savoir opérer dans des situations de stress, prendre des décisions aux conséquences multiples, travailler avec un contrôle au sol. La NASA met d'ailleurs à notre disposition des petits avions à réaction, les T38, pour que nous puissions continuer à voler tout au long de l'entraînement. L'agence américaine estime que c'est plus simple de recruter des pilotes et de les former aux sciences de la Terre plutôt que de prendre des scientifiques pour les former à la conduite d'une machine.
Votre participation à la mission STS-111 n'a été décidée qu'en 2001 ? Cela signifie une longue attente...

La NASA a une politique intéressante qui consiste à impliquer les équipages dans la définition de nouveaux matériels. En attendant la décision, j'ai donc travaillé sur différents programmes comme la modernisation du cockpit de la navette, le X38, futur véhicule de secours de la station, ou le vaisseau cargo ATV. Mais je savais qu'il y avait un vol à la clé.
Quels sont les objectifs de cette mission et quel sera votre rôle?

En tant que «mission specialist» j'assurerai la fonction d'ingénieur de bord au décollage et d'ingénieur principal lors de la phase de rendez-vous avec la station. La mission STS-111 comporte trois volets : vol de rotation, assemblage de la station et apport d'équipements scientifiques à bord du module Destiny. Aujourd'hui la Station est habitée mais elle n'a pas encore pris sa vitesse de croisière. Pour l'instant elle ne dispose que d'un quart de ses panneaux solaires. Pour mettre ces panneaux en place, on utilisera un bras robotique fabriqué par le Canada. Notre mission consiste à installer la base mobile de ce bras robotique, afin qu'il puisse se déplacer sur un treillis métallique le long de la station. Ce sera le gros morceau de mes deux sorties extra-véhiculaires, qui dureront un peu plus de six heures chacune.
Pourquoi ce mécano nécessite-t-il la main de l'homme ?

Parce que le robot a ses limites ! La base sera prépositionnée automatiquement mais ensuite il faudra l'attacher solidement et établir toutes les connexions de données. Autant d'opérations fines que la main de l'homme est plus à même de réaliser. Et d'un point de vue philosophique, je pense qu'il ne peut y avoir d'aventure humaine sans implication directe de homme.
Quels sont les difficultés associées à une telle manœuvre ?

Ce qui est difficile c'est de lutter contre la rigidité du scaphandre dont la pression est maintenue à un tiers de l'atmosphère. Pour lutter contre les problèmes liés à la décompression, on respire de l'oxygène pur quelques heures avant le vol, de façon à éliminer une grande partie de l'azote contenue dans le sang. Cela permet d'éviter tout traumatisme sur les articulations, le cerveau ou le cœur. L'EVA demande un travail physique important avec des risques réels, notamment d'impact de micrométéorites ou de petits débris spatiaux sur le scaphandre.
Pour préparer ces sorties vous vous entraînez au fond d'une piscine...

Chaque EVA nécessite une dizaine de séances d'entraînement en piscine. Cela permet de répéter la chorégraphie des gestes que nous aurons à effectuer, dans un souci de précision et d'économie de mouvement. Tout cela avec un scaphandre de plusieurs dizaines de kilos sur le dos ! Pour chaque opération il faut trouver le geste qui fait le moins mal et apprendre à jouer avec les axes de rotation du scaphandre pour en faire une sorte de deuxième peau. Le seul hic c'est que dans l'eau nous ne sommes pas en situation réelle d'impesanteur. La combinaison flotte mais pas le corps de l'astronaute. Du coup, lorsque je suis amené à m'entraîner la tête en bas, tout mon poids repose sur mes épaules, ce qui n'est pas forcément agréable...
Comment vous préparez-vous mentalement à ce « saut dans le vide » ?

Je comparerais cela à la préparation pour le biathlon, en ce sens qu'il s'agit d'un mélange entre un effort physique brut et des gestes de précision. A cet égard, j'ai beaucoup à apprendre des autres membres de l'équipage : mon commandant Kenneth D. Cockrell, l'ingénieur de bord Frankiin Chang-Diaz qui en est déjà à son septième vol et Paul Lockart dont c'est aussi le premier vol. Nous nous épaulons les uns les autres afin de compenser les faiblesses de chacun au sein de l'équipe. Mais dans le domaine de la préparation mentale mon épouse reste mon meilleur coach !
Vous vivez avec votre famille à Houston. Tout le monde s'est bien intégré au microcosme des astronautes ?

Avec Cécile nous avons fait le choix de vivre à l'Américaine. La NASA et le corps des astronautes forment une petite communauté à laquelle nous nous sommes très rapidement intégrés. S'il y a quelque chose de réaliste dans tous les films qui retracent l'aventure spatiale, c'est bien ce côté barbecue à Houston et bande de copains ! Nous habitons tous à dix minutes les uns des autres. Ce qui peut parfois conduire à des situations assez drôles. Un jour ma fille, voulant sans doute frimer auprès de ses camarades, lance fièrement au cours d'un repas : « mon papa est astronaute !». Pas de chance pour elle : j'étais le seul autour de la table à ne pas avoir encore volé !
La France ne vous manque pas ?

C'est tout ce qui fait le charme de l'esprit français qui nous manque. Mais pendant ces cinq ans la dimension culturelle de mon intégration a été très importante. J'ai voulu comprendre ce pays et les décalages qu'il pouvait y avoir avec la France. A priori nos valeurs sont les mêmes mais nous sommes en fait très différents dans de nombreux domaines, que ce soit l'approche de la religion ou la préservation de l'environnement. C'est pourquoi j'aimerais par la suite faire en sorte que nos deux peuples se comprennent mieux et continuent d'avoir de grands projets en commun.
Justement, comment envisagez-vous l'après STS-111 ?

Tout naturellement j'aimerais poursuivre dans le domaine spatial et, pourquoi pas. participer un jour à un vol de longue durée ou voler sur le segment russe. Mais à plus court terme je souhaite profiter de l'expérience acquise ici pour travailler sur l'ATV ou sur l'Airbus Zéro G et pour le CNES d'une façon ou d'une autre. J'aime cet établissement et l'esprit qui y règne. Un esprit pratique, d'ingénieur et de développement de programme. J'aime la prouesse technique et je me sens plus à l'aise dans un milieu d'ingénieurs.
Une dernière question : est-ce par superstition que vous ne souhaitez pas que l'on parle de vous comme le « dernier astronaute du CNES » ?

Pas vraiment par superstition mais parce que cela fait un peu « dernier des Mohicans » ! Ce qui compte avant tout c'est que je ne sois pas le dernier astronaute français. Le vol habité a encore de l'avenir, que ce soit un avenir proche avec la Station ou plus lointain avec la grande aventure martienne, dans laquelle le CNES est déjà impliqué. C'est en mettant l'homme en avant qu'on peut aborder des phénomènes abstraits et complexes pour le grand public, comme l'observation de la Terre ou le changement climatique.

Propos recueillis par Nathalie Joumo, CNES, février 2002